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10 lignes à la fois : laboratoire d'écriture
13 juin 2008

Alienation


Je vous propose de lire les premières lignes du roman que j'ai écrit : Alienation. Il s'agir d'un roman de 600.000 signes (environ 200 pages en times 12 interligne 1) qui oscille entre la science-fiction et le fantastique et qui date de 3 - 4 ans (l'époque où j'ai eu envie de me prouver que je pouvais écrire quelque chose de long, alors que je m'éclate aujourd'hui à produire des textes courts).
ptreguier2J'ai proposé, il y a quelques jours, ce roman à un éditeur. Ca n'aboutira peut-être pas, mais ca veut dire que j'ai enfin décidé de me faire éditer. C'est donc une affaire à suivre...

En attendant, voici le début :

 

Usé, déchiré, éventré, lacéré, brûlé par endroits, la peau ternie par l’âge et la poussière, piquée de tâches de moisissures et déformée par la répétition des sauts effectués sur ses vieux coussins, le vieux canapé qui trônait au milieu du salon aurait bien mérité des remerciements, des félicitations, ou tout au moins quelques encouragements. Mais les seuls égards qu’il recevait étaient des coups de pieds ingrats, des éclaboussures de bières indélicates et des confiseries sucrées et collantes.

Ce canapé, relique découverte au hasard d’une pérégrination dans un terrain vague, témoignait du premier drame muet qui se déroulait dans cette pièce. Allongée de toute sa taille sur son ventre, une humaine écrasait dédaigneusement ses ressorts, étouffait son cuir et déformait sa structure, les pieds posés sur un accoudoir et la tête dans un trou qui aurait dû être comblé par un coussin. Dans cette position, elle mangeait d'une main du pop-corn provenant d'un bol posé sur le sol, qui parvenait à sa bouche en une parabole aérienne, et tenait fermement de l’autre un petit livre en suspension au-dessus de sa tête, titré "l'aliénation selon Karl Marx", sans qu’une once de considération n’émerge de sa personne en direction du vieux meuble qui la soutenait.

Le second drame muet se déroula à quelques mètres du premier : alors qu'elle se trouvait immobile depuis plusieurs minutes, une antique télécommande utilisa la main normalement assignée au pop-corn pour s'élever dans les airs. Elle en profita pour émettre un train d'ondes en direction du récepteur idoine, placé sur le devant d'un non moins antique téléviseur, à peine adapté pour la médiavision. Celui-ci réagit illico en modifiant son canal de diffusion. Cette dernière joua cette comédie durant quelques instants, puis, lassée, se laissa choir sur la moquette.

Bien loin de cette minuscule scène, la droite et haute porte des toilettes s'ouvrit dans un craquement hautain. Et le troisième drame se produisit, loin d’être muet celui-ci : un grand humain, mal rasé, cheveux longs jusqu’aux épaules, mâchoire carrée et yeux marron en franchit le seuil et déclara en direction du divan :

_ Qu’est ce que tu regardes encore ? T'as zappé.

_ Je ne sais pas trop, fit la voix féminine. Je lis.

_ Tu parles. Je n'ai jamais vu quelqu'un lire en regardant la médiavision.

Léocadie attrapa une poignée de maïs caramélisé qu'elle porta à sa bouche.

_ Tu sais, moi je sais tout faire.

_ C'est ce que tu dis. N’empêche que je ne t'ai pas encore vu garder un travail plus d'une semaine.

Piqûre au vif. Elle se redressa vivement.

_ Qu'est-ce que tu insinues, Max. Que je suis une tire-au-flanc ? Je te rappelle que j'ai toujours eu une bonne raison de quitter mon travail.

_ Une bonne raison ! Et c’était quoi la bonne raison, la dernière fois, au Café du Commerce ?

Max usait d’un timbre de voix teintée d'ironie mais uniforme. Léocadie, elle, montait très rapidement dans le registre de l’agacement.

_ Le patron prenait une commission sur les pourboires. C'est rigoureusement illégal, je te rappelle.

Max s'adossa au mur, croisa ses pieds, et entreprit de se rouler une cigarette. Il rétorqua, le plus calmement du monde :

_ Et bien sûr, tu ne touches pas à tout ce qui est illégal.

_ Pas lorsque ça a pour but d'aliéner la condition humaine.

Il manqua de laisser tomber son paquet de tabac en pouffant.

_ "Aliéner" ! C'est dans ton livre que tu trouves des expressions comme ça ?

Léocadie sentit son nez la piquer et son sang affluer au visage. Elle resta quelques secondes à fusiller son petit ami du regard et replongea brusquement dans sa lecture interrompue.

_ Regarde donc la média, si tu es incapable de lire, maugréa-t-elle.

_ J'y compte bien, mais pas longtemps. Il faut que je dorme, demain j'ai un client à 10 heures.

Il s'installa inconfortablement dans le trou du canapé et s’attacha à faire jaillir une étincelle d'un briquet presque vide.

_ C'est un gros client ? s'enquit-elle sans quitter le livre des yeux.

_ Ha ! Tu vois que tu y viens, à l'illégalité…Non, c'est un habitué qui me prend 100 grammes par semaine.

Léocadie songea soudain à son ami comme à un acteur de l'aliénation dont elle venait de lui parler. Son action "illégale" quotidienne n’avait pas le moindre but révolutionnaire. Non seulement il participait au maintien de la société actuelle, qui devenait de moins en moins appréciée par ses acteurs, mais il vendait de la drogue à des gens qui n'en avaient pas besoin, et ainsi les détournait de leurs véritables desseins. Il n’avait pas la moitié de la trempe d’un Marx, d’un Trotski ou même d’un Lénine. Son seul intérêt résidait dans sa recherche de profit et du maintien de son petit confort, comme tous les autres qui trimaient au-dehors, sans réel objectif. S’il s’opposait à la société marchande, c’était pour de fausses raisons, égoïstes et amorales.

Par-dessus son livre, Léocadie jeta un coup d’œil accusateur à celui qui lui servait actuellement d’hôte. Jamais elle ne consentirait à coucher avec lui si cela n'était pas un moyen de se faire héberger gratuitement. Leur relation n’était qu’un tacite échange de bons procédés, même si Max n'en était pas conscient.

De son coté, la télécommande jouait le même tour à la télévision, prenant cette fois-ci la main de l'homme en otage. Puis elle s'arrêta brusquement et se figea en l'air.

_ Putain, cria Max. C'est Léo !


Le texte n'est pas protégé. Vous pouvez me piquer des idées (j'en ai plein de toutes façons) ou même vous accaparer la paternité de cet extrait (si vous arrivez à vivre avec).
Mais vous pouvez aussi en faire de la pub...

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Commentaires
A
Je te le souhaite :)
S
peut-etre sur papier si tout ca se concrétise...
A
C'est prometteur!! J'aurai bien aimé lire la suite ;)
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